Projection d’une maquette de travail

Une expérience filmique unique. (Témoignage du réalisateur)

par Alain Bœuf, réalisateur

L’œuf et le nid, est le film documentaire réalisé par Alain Boeuf, sur son expérience familiale de l’adoption, il a été co-produit par Mocco, la Loca Compagnie et Studio Lemon. Il a été terminé en janvier 2016 et a été depuis diffusé de nombreuses fois en salle avec la collaboration de Médecins du Monde et d ‘Enfance et Famille d’Adoption. Il a reçu le prix Etudiant au festival du film social de Nancy et est actuellement distribué en DVD par l’Harmattan.

Juin 2015, un mois avant le montage définitif de mon film, Mocco tenta une aventure qui, à ma connaissance, n’avait pas encore été expérimentée dans le documentaire : la projection d’une maquette de travail en public. Le but étant pour le public et pour moi, d’échanger autour de la question de la création et la fabrication d’un film documentaire. Et bien sûr d’une façon tout à fait originale, d’avoir un premier regard critique sur le film, bien qu’il n’exista pas encore sous sa forme définitive.

L’œuf et le nid n’est pas un documentaire comme les autres, sept ans de tournage, deux ans de post-production. Un projet déraisonnable.

En effet, comment produire un film sur la procédure d’adoption ? Le caractère intrinsèque du sujet impose d’ignorer la durée de l’aventure (souvent plusieurs années) et les lieux géographiques concernés (la plupart des adoptions sont internationales). De plus, comment construire un sujet lorsqu’on ne sait pas quand le principal protagoniste interviendra (mon fils) ? Ni même s’il y aura un principal protagoniste puisque cinquante pour cent des candidats à l’adoption se découragent en cours de route.

On le voit, ce n’était pas une mince affaire. Tout au long de ces sept années, quelques sociétés de production s’y sont attelées, la plupart ont dû renoncer devant l’ampleur des difficultés.

Je me suis battu comme un beau diable pour que ce film existe. On le comprend, cette volonté dépassait de loin la seule question artistique. J’ai donc dû bien des fois agir seul et sans moyen, pour que le film puisse continuer d’exister. Non seulement je naviguais entre le sujet et la réalisation, mais j’étais aussi à l’image, au maquettage, à la composition musicale… Ce qui fait que juste avant le montage définitif, je manquais cruellement de recul.

Voilà pourquoi j’attendais beaucoup de cette projection à Mocco. J’étais sûr que les regards des spectateurs seraient les plus variés possibles, les projections de proximité réunissent souvent un public très hétérogène. Raison supplémentaire de mon engouement : je n’avais affaire ni à des professionnels du cinéma, ni forcément à des amateurs de documentaire.

Dès le départ, l’événement se présenta bien, puisqu’à ma grande surprise, il fallut organiser non pas une, mais deux soirées : la demande ayant largement dépassé la capacité d’accueil du site. En tout, 120 personnes ont sollicité l’envie de vivre cette expérience de projection intermédiaire.

La maquette de mon film durait une heure vingt, la version définitive fera seulement cinquante-neuf minute. Toutefois les grands thèmes et un nombre conséquent de séquences existaient déjà sous une forme brute. Donc l’essentiel était là et pouvait être porté au regard critique.

Pour les deux soirées, l’événement fut organisé de la façon suivante : la première partie fut consacrée à la présentation générale, à la fois technique et créative, du travail de documentariste, avec une explication plus poussée sur l’étape dans laquelle je me trouvais (avant le montage), pour que tout le monde puisse en comprendre les enjeux. Puis, vint la projection et enfin la discussion et les propositions des spectateurs.

Car l’idée était que la parole devait circuler librement et le dialogue être ouvert aux propositions. C’est ce qui a rendu l’expérience unique en mon sens et je le crois aussi, pour les spectateurs/acteurs.

Il y eu d’abord ceux qui voulaient témoigner de leur ressenti au visionnage du film, en totalité ou bien sur une séquence en particulier. Bien souvent, venait ensuite le récit de leur propre histoire de filiation. Cela a donné lieu à des moments très émouvants.

J’ai découvert pendant ces soirées que le thème de mon film avait pour vocation de renvoyer chacun à sa propre expérience personnelle d’enfance ou de parentalité. Bien sûr je m’y attendais un peu, car je suis persuadé qu’il y a de l’universel dans chaque histoire aussi intime soit-elle, et que c’est justement le travail du documentariste que de l’affirmer. Mais parfois c’est raté, et le réalisateur ne le sait que trop tard. Grâce ces projections j’ai pu me rassurer et aborder le montage d’une façon sereine.

Puis il y avait ceux qui n’étaient pas suffisamment satisfaits par le film, qui voulaient en savoir plus sur nous, sur l’adoption. Pourquoi par exemple j’avais fait le choix de ne pas tout montrer. Nous avons pu ainsi discuter sur les contraintes, les droits et les devoirs artistiques, éthiques et même techniques auxquels j’étais confronté en tant qu’auteur, mais aussi en tant que parent, ou même comme simple être humain. A travers les échanges, j’ai pu constater à quel point les frontières de ce qui était possible de montrer ou non, pouvaient varier d’un individu à l’autre.

Un soir notamment, les avis de deux personnes étaient complètement divergents sur le fait que je n’avais pas montré notre première rencontre familiale dans le film. L’une affirmait que ces images pouvaient faire basculer le film dans le voyeurisme, l’autre défendait l’idée que c’était de mon devoir d’aller au bout de ma démarche. Elles furent surprises toutes deux par ma réponse : on ne peut pas vivre et filmer en même temps. Je n’avais donc eu à aucun moment l’intention de filmer ce moment précis, parce que j’avais fait le choix de le vivre. Et comme cela restait mon film, l’idée m’était impossible que quelqu’un d’autre s’en occupe à ma place. Je n’avais donc pas eu à me poser la question éthique. Du moins, pas pour cette séquence-là.

Enfin vint la partie formelle. Les propositions du public furent nombreuses et bien souvent recevables. Certaines d’entre-elles m’ont aidées pour le montage final.

Bien sûr, je suis resté le seul maître à bord, la responsabilité du film m’incombe entièrement, mais lorsque la totalité des personnes ne comprennent pas le sens d’une séquence : c’est qu’elle est ratée. Quand quelqu’un met en évidence que telles ou telles séquences manquent pour la compréhension générale du film et que tout le monde l’approuve dans le public, vous mettez votre orgueil de réalisateur de côté et vous écoutez attentivement ce qui est dit. Enfin, quand une personne vous décrit tout le bien qu’elle pense de votre travail, modestie à part, ça fait du bien.

C’est une très belle récompense pour avoir tenu bon toutes ces années.

Voilà pourquoi ces projections sous le ciel étoilé de Mocco furent pour moi un moment inoubliable. J’espère que j’aurai encore la possibilité dans ma carrière de réalisateur de revivre ce type d’expérience.

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